L’arrivée des clowns à l’hôpital Bicêtre en service de neuropédiatrie a marqué une nouvelle étape dans l’approche des enfants hospitalisés. Dans ce service se côtoient des nourrissons, des enfants, des adolescents et des familles confrontés à des maladies du cerveau, de la moelle ou des nerfs très différentes.

Certaines pathologies, comme l’autisme, la trisomie ou le poly-handicap touchent intimement la perception, la sensation, le rapport à l’autre et les facultés de communication. Il peut dès lors sembler difficile d’entrer en contact et pourtant les clowns y parviennent. S’ils arrivent à offrir à ces enfants et à leur famille de purs moments de joie, c’est qu’ils ont été formés.

« Mon partenaire, Bolov, et moi, rencontrons un jeune trisomique dans le couloir. On se découvre tous les trois. L’échange qui s’opère s’annonce magique. Chaque question qu’il se pose, chaque problème qu’il doit résoudre, chaque émotion, sont si lisibles dans son regard que c’en est fascinant. " Il se passe quelque chose de pas normal. Que dois-je faire ? " semble-t-il se demander avec un mélange d’appréhension et de curiosité. Après un moment d’observation, il décide d’essayer de nous faire croire qu’il part et se met « discrètement » derrière un angle de mur en vérifiant nos réactions.

"on lui répond, on s’apprivoise"

On se met à notre tour à l’abri. Un cache-cache se met en place. Pour lui, c’est la vraie vie, pas tout à fait un jeu. Soudain, il lève doucement son index droit, et est étonné que je réponde par le même geste. Il essaye encore quelques gestes, on lui répond, on s’apprivoise. Puis un geste plus assuré : il nous montre le couloir derrière nous et ordonne : "Là bas ! ". On court se mettre hors de sa vue. Voilà qui lui donne confiance ! Dès qu’on réapparaît, il nous y renvoie, avec plaisir et fierté, et profite de son triomphe lorsqu‘on a disparu. »

Cette jolie rencontre illustre combien le rapport aux enfants présentant des difficultés de communication dépend de l’apprivoisement et de la capacité des clowns à décrypter certains gestes. Ils ont su se mettre en résonance des propositions de ce jeune garçon, se laisser guider, d’abord sans paroles, avec le seul geste.

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C’est d’ailleurs tout le défi du clown, personnage avant tout relationnel, que de pouvoir entrer en interaction avec l’autre sans avoir recours aux mots. Avec des jeunes trisomiques, qui sont débordants d’amour et de sensibilité mais démunis face à tout ce qui, dans les gestes comme dans les paroles, est « implicite », il est essentiel de savoir se passer de mots. Le mime pratiqué avec ce jeune patient a permis d’établir un lien.

C’est également l’enjeu de l’intervention des clowns auprès des enfants autistes qui, bien que doués du même potentiel émotionnel et intellectuel que chacun de nous, ne savent pas vibrer au diapason de leur univers social. Comme l’a souligné le Dr Milcent, chez l’enfant autiste, les « instruments ne sont pas accordés et l’orchestre improvise sans partition ». Il est donc particulièrement difficile d’emmener l’enfant autiste dans une histoire inventée car il ne dispose pas des codes du jeu, du « faire semblant ». Il ne peut pas se projeter dans un imaginaire abstrait. Il faut donc user autant que possible d’une communication non-verbale. L’utilisation du langage corporel peut même être cathartique : les galipettes ou mouvements du clown constituent, pour certains, un encouragement à exprimer, avec leur propre corps, des sentiments souvent réprimés.

"l’enfant autiste appréhende d’abord sa réalité avec des rythmes tactiles"

C’est aussi que l’enfant autiste appréhende d’abord sa réalité avec des rythmes tactiles, des touchers et des bercements, avant même de s’inscrire dans un contact visuel ou sonore. Rompus et formés depuis des années au jeu tactile auprès des nourrissons, c’est le chemin que nos clowns empruntent avec les autistes pour établir un dialogue hors des mots. Ils pratiquent la haute couture dans un échange hyper-personnalisé, ne brusquent pas l’enfant et se mettent, eux, à son diapason.

L’appel au registre sensoriel pour nouer une relation est également nécessaire pour les polyhandicapés. La plupart du temps, ces enfants ne parlent pas ou très peu et s’expriment par sons. Quelle erreur de penser que, pour autant, il y aurait absence de compréhension, de conscience de l’environnement, absence d’émotion ou du sens de l’humour !

« Il faut se garder de parler à un adolescent polyhandicapé comme à un nourrisson » a ainsi précisé aux clowns le Pr. Tardieu, chef du service de neuropédiatrie à l’hôpital Bicêtre ! Aussi bien les clowns ne craignent pas d’entrer en contact direct et à s’adresser à ce qui va bien chez l’enfant.

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Comme avec Melissa, 11 ans, que les clowns ont rencontré à l’Institut Gustave Roussy l’an passé. Polyhandicapée depuis sa naissance, Melissa ne parle pas et voit mal. « Nous avons d’abord créé une ambiance musicale en chantant avec sa maman. Puis doucement nous avons pris ses mains pour battre le rythme avec elle. Ses yeux se sont soudainement accrochés aux nôtres pour ne plus quitter notre regard. La maman avait les larmes aux yeux. » nous confie Margot, alias Madeleine Couette…

Une nouvelle illustration que, pour les familles de ces enfants, « véritables héros du quotidien » selon le Pr. Tardieu, les clowns sont infiniment précieux. Eux regardent leur enfant avec franchise et pas avec curiosité ou pitié. Et tout en lui rendant sa place d’enfant, ils contribuent à changer le regard sur le handicap.

 

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