Aux Etats-Unis et dans certains pays d'Europe, des petits malins déguisés en clowns maléfiques s'amusent à semer la peur.

24 octobre 2016

 Il y a 2 ans, cette folie pré-Halloween avait aussi atteint la France. A ce moment-là nous avions publié la lettre ouverte d'Emmanuelle, comédienne au Rire Médecin, depuis 20 ans.

Pour télécharger et imprimer la lettre d'Emmanuelle, cliquez ici  : lettre ouverte d'une clown professionnelle

emmaJe suis clown professionnelle depuis 25 ans. J’ai joué dans un cirque traditionnel, sur scène, et depuis 20 ans je travaille auprès d’enfants hospitalisés avec la compagnie « Le Rire Médecin ». Depuis 10 jours, nombre de personnes m’interrogent sur l’impact des agressions commises par des individus déguisés en clown dans l’exercice de mon métier. Mais ce qui m’interpelle en premier lieu dans ce phénomène, c’est la lacune énorme qu’il révèle dans la connaissance de l’art du clown auprès du grand public. 

"Le clown est avant tout un art"

Car oui, le clown est avant tout un art, dont un des fondements, à l’instar de la maitrise de son instrument pour un violoniste, est la composition d’une silhouette, par le costume, le maquillage et la coiffure.
Un costume haut en couleurs et un maquillage très accentué pour Achille Zavatta, qui se produit sur une piste de cirque violemment éclairée dans un spectacle rutilant, déjà bien plus sobres pour Grock qui jouait sur des scènes de Music-Hall, le maquillage s’efface pour ne laisser que postiches et accessoires au cinéma, comme on le voit pour Charlot : un chapeau melon et une moustache, ou Mr Hulot : une pipe et un chapeau. Même en noir et blanc on les reconnait.

Car c’est à cela que servent le costume, la coiffure, le maquillage et les accessoires : à ce que le personnage soit immédiatement reconnu et identifié.
On est déjà à l’opposé du masque qui dissimule l’identité de l’agresseur dans les cas de ces derniers jours.

"La pemière et unique victime du clown, c'est lui-même."

Ensuite, par définition, la première et unique victime du clown, c’est lui-même, ou au pire son comparse clown quand il joue en duo : il se prend les pieds dans le tapis, s’assied à côté de sa chaise, referme la porte derrière lui et se la prend dans la figure en sortant parce qu’entre-temps il a oublié… 

clown art2On comprend que, traditionnellement, les clowns ne produisent que des « armes » inoffensives : un seau d’eau ou une tarte à la crème, car dès qu’elles apparaissent, promesse est faite au public qu’elles finiront sur la tête de celui qui les a exhibées.

La scène du chevalier noir des Monthy Python est éloquente : c’est celui qui veut absolument provoquer le combat qui finit bras et jambes coupées. Possible grâce aux effets spéciaux du cinéma, mais les clowns qui se produisent en spectacle vivant, pas fous, s’en tiennent à ce qui n’engagera que des frais de pressing !

"Le clowns qui peut faire mal à autrui, c'est un non-sens."

Peut-être qu’inconsciemment cette notion du clown unique victime de lui-même a orienté le choix des agresseurs de ces derniers jours. Le clown qui peut faire mal à autrui, c’est un non-sens, une monstruosité, un peu comme dans le film « L’exorciste » ou une enfant, symbole de l’innocence, devient le siège des forces du mal. Le contraste poussé à son maximum n’est pas subtil, mais il est efficace. Malheureusement, si le public connait suffisamment les enfants pour ne pas en avoir peur après avoir vu « L’exorciste », il n’en va pas de même des clowns.

Enfin, et même si c’est une évidence il faut le rappeler : les clowns font rire, les agresseurs de ces derniers jours pas du tout !

Avec « Le Rire Médecin », je travaille dans un service d’oncologie pédiatrique. Les enfants que je vois à l’hôpital y sont malheureusement depuis un bon moment. Ils nous voient deux fois par semaine, nous connaissent bien, aucun amalgame ne se produit entre notre présence et les agressions de ces derniers jours. Il n’en va pas forcément de même dans les services de pédiatrie générale où les enfants sont de passage.

clown violonPour nous, il faut avancer sur des œufs, ne pas risquer de surprendre (ce qui est pourtant un important ressort comique), adoucir et arrondir les angles au risque de perdre parfois en qualité artistique et en drôlerie. C’est pénible et frustrant, ça rappelle les tout débuts du « Rire Médecin » quand il fallait composer avec des résistances du type : « C’est indécent de rire ici. Vous savez, ici il y a des enfants qui souffrent. » (Sans blague !). C’est un aléa professionnel, très désagréable, certes, mais qui ne remet en aucun cas notre travail en cause.

Par contre quand je pense à un enfant qui, dans la salle d’attente des urgences, encore traumatisé par l’accident qui l’a amené là, sentant l’inquiétude de ses parents, voit des clowns arriver et qu’au lieu d’en être soulagé et détendu il en ressent un surplus d’angoisse, là, oui, je suis en colère. Il est une deuxième victime après celles que les individus déguisés en clown ont molestées.

Quant aux motivations de ces agressions elles me laissent perplexe. J’ai lu quelque part : « J’ai fait ça parce que c’est ce qui marche sur internet en ce moment »… Quel gouffre existentiel ! J’espère que des compétences sont mobilisées pour que, une fois les préjudices des victimes reconnus et les sanctions nécessaires appliquées aux auteurs des agressions, ces personnes soient un peu encadrées et accompagnées pour se construire, et donner à leur existence et à leur personne une valeur autre que virtuelle.

Enfin, et ce dernier point n’est pas le moindre, je suis très alertée par la façon dont ces évènements ont été relayées par les médias. J’ai beaucoup lu et entendu « Les clowns », plus rarement « Des individus déguisés en clowns » ou « De faux clowns ». Je pense que si le déguisement choisi avait été celui de chirurgien ou de pompier, l’ordre des médecins ou le corps des pompiers auraient immédiatement réagi à des titres comme « Les chirurgiens attaquent » ou « Les pompiers agressent ».

Et pourtant, ces deux professions sont bien mieux connues du grand public et ont bien moins besoin d’être légitimées. Mais il n’existe pas d’ordre des clowns pour organiser le droit de réponse… Sans rire !

 

Par Emmanuelle Bon - Comédienne Clown au sein de l’association Le Rire Médecin / Crédit photo : Yoann Hervet

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