Ces chiffres font froid dans le dos. 20 000 enfants seraient directement concernés par la maltraitance et 100 000 seraient aujourd’hui en danger dans notre pays. 

Qu’il s’agisse de sévères négligences, de violences physiques, d’abus sexuels ou de violences psychologiques, il s’agit là d’un véritable problème de santé publique sur lequel l’Etat comme les structures hospitalières pédiatriques concentrent leurs efforts en matière préventive, judiciaire et sanitaire.

Il existe notamment des unités médico-judiciaires au sein de services pédiatriques que Le Rire Médecin visite. Mais les comédiens clowns sont encore trop régulièrement confrontés à des situations de maltraitance ou de suspicion au sein de services plus classiques. Quelle aide peuvent-ils apporter à ces enfants meurtris dans leur âme et dans leur corps ?

Barbara Tisseron a le sourire pudique et la voix douce. Mais quand, en décembre dernier, elle a fait le privilège de prodiguer aux clowns une formation sur la maltraitance infantile, cette pédiatre au CHU d’Orléans a suscité l’admiration de tous pour la conviction et l’humilité qui l’animent dans le combat qu’elle mène pour aider des enfants brisés. Fondatrice de l’unité médico judiciaire de l’hôpital, elle a accueilli l’an passé près de 600 enfants sur réquisition judiciaire. Elle s’est battue pour que cette unité soit intégrée au service pédiatrique, comme c’est le cas à l’hôpital Jean Verdier de Bondy. De telles mesures permettent en outre d’offrir aux enfants un cadre plus rassurant qu’un commissariat, où ils peuvent, en dehors de l’écoute de l’équipe médicale, bénéficier de la présence des comédiens clowns hospitaliers.

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Le docteur Tisseron, qui connait les clowns depuis son internat à Gustave Roussy, est particulièrement sensible à leur travail dans l’approche des enfants maltraités. Pour elle, ils peuvent être un des vecteurs de résilience pour ces enfants fragilisés par la violence.

j’ai senti qu'il faisait peu à peu tomber le masque

 

Si le comédien derrière le nez rouge se trouve souvent révolté face à de telles situations, la distance qu’autorise son personnage lui permet d’aller au-devant de tels enfants pour qu’ils renouent avec l’insouciance de leur âge, avec le jeu, et la confiance dans les adultes.

Séverine, comédienne au Rire Médecin sent, elle aussi que les clowns peuvent apporter un mieux-être à ces enfants : « Nous avons vu hier un enfant de 6 ans dont le père est suspecté de maltraitance. Le petit garçon était avec sa grand-mère. Nous avons noué le contact par du jeu indirect entre nous, puis avec sa mamie, et enfin nous l’avons doucement fait devenir acteur de la mise en scène. Les infirmières nous avaient dit qu'il avait un comportement fermé et mutique, parfois sur la défensive, nous marchions donc sur des œufs. Par mécanisme de défense, il a d’abord montré un peu de dureté mais j’ai senti qu'il faisait peu à peu tomber le masque. Il s'est prêté au jeu, a souri plusieurs fois, s'est amusé. Pas de mutisme avec nous, nous avons dialogué et même reçu quelques conseils pour être embauchées, ma comparse Patafixe et moi, dans un cirque ! J’ai senti que les clowns pouvaient activer ou réactiver largement la part d'enfance qui se ferme parfois trop vite. »

A leur juste mesure, les clowns aident les enfants à se délester, à libérer la parole. Quand la confiance envers les adultes, censés les protéger, est rompue, les clowns montrent aux enfants maltraités que les échanges avec « les grands » peuvent se faire dans la joie et le respect.

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Certains enfants, qui ont connu les coups, la négligence ou les humiliations, portent en eux cette brutalité et la manifestent dans leur rapport avec les clowns. Mais les comédiens savent utiliser cette violence comme levier pour entrer en relation, pour débloquer quelque chose. « Redonner le pouvoir à l’enfant en lui disant de mettre en scène de fausses bagarres entre clowns c’est lui donner un punching-ball imaginaire pour rendre les coups face aux agressions qu’il a subies. C’est cathartique ! » résume ainsi Caroline Simonds, alias Girafe.

Sans compter que les comédiens sont un précieux soutien dans le travail des médecins confrontés à la maltraitance infantile. Barbara Tisseron nous confiait ainsi : « Les clowns permettent aussi aux enfants de poser un regard différent sur nous, praticiens. En présence des clowns, les enfants voient que, derrière le sérieux de notre sarrau blanc, nous pouvons avoir des sensibilités proches des leurs. ».
En participant à désacraliser le rôle des soignants et le caractère impressionnant de leur fonction, les clowns aident les enfants à faire confiance pour se raconter, pour dire leurs maux sans crainte. La parole étant le premier pas vers la reconstruction, les clowns contribuent à rendre aux enfants maltraités leur dignité.

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